29 mai 1999

" LES SOCIABILITÉS LITTERAIRES A L'EPOQUE CLASSIQUE (XVIIe - XVIIIe SIÈCLE) "

(Exposé de Jean-Marie Goulemot, transcription par Emmanuelle Cullmann)

 

Table des matières (faire marcher l'ascenseur) :

A - Les sociabilités littéraires, historique

B - Les sociabilités littéraires au XVIIe siècle

I - Les sociabilités ouvertes

II - Les sociabilités closes

III - Les sociabilités interdites

IV - Les sociabilités salonnières

- L'Hôtel de Rambouillet

- Madeleine de Scudéry

V - Le cabaret

Conclusion sous formes de remarques

C - Les sociabilités littéraires au XVIIIe siècle

I - Les lieux hérités du XVIIe siècle : salons, cabaret, académie

1- L'Académie

2 - Le cabaret

3 - Les salons

II - Les lieux nouveaux

1 - Le café

2 - Les sociétés

3 - Les cabinets de lecture

4 - Le lycée ou le musée

III - les formes nouvelles

1 - le clan

2 - la crise de la République des Lettres

3 - la visite à l'écrivain

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Bibliographie :

Il existe des travaux en cours sur les salons :

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L'idée de départ est que le salon serait premier, comme mode de sociabilité, par rapport à son contenu. Ainsi l'abbé Nicolas-Sylvestre Bergier, qui appartient au mouvement anti-philosophique a fréquenté le salon d'Holbach, avec Diderot, Helvétius,etc.

Cela fait problème : comment peut-on fréquenter le salon d'un athée notoire quand on est docteur en théologie, chanoine à Notre-Dame et auteur d'un célèbre livre anti-philosophique, Le Déisme réfuté par lui-même, ou Examen des principes d'incrédulité répandus dans les diverses œuvres de M. Rousseau, en forme des lettres, Paris: Humblot, 1765.

A partir de ce cas, on peut considérer le salon non comme un lieu de philosophie, d'idéologie, mais de sociabilité littéraire, où l'on se partage des emplois, presque des rôles, au-delà des différences idéologiques.

 

A - Les sociabilités littéraires, historique

Les lieux de rencontre des écrivains, lieux de sociabilité, sont datés du XVIe siècle. Avec la Pléiade, ce sont des lieux où s'échangent des idées, où se mettent à l'épreuve des travaux littéraires, où se négocient des mécénats, où se nouent des contacts avec des éditeurs.

Les trois principaux lieux de sociabilité sont les suivants :

Donc cette sociabilité se joue soit autour des régents de collège entourés d'une constellation de disciples, soit autour des cours princières, aristocratiques, qui existent encore à Paris. Ce système encore compliqué va s'épurer et il n'y aura plus qu'une seule Cour, d'un côté, et de l'autre la cour romaine, avec les cardinaux. C'est le moment où ces gens, très parisiens, sont confrontés à une société très cosmopolite.

Ce sont des lieux réels de sociabilité. On peut en ajouter un quatrième, un lieu virtuel, c'est-à-dire éclaté aux quatre coins de l'Europe savante, mais réel en ce qu'il implique des pratiques, des échanges de lettres, des codes de conduite, etc. La République des Lettres est un imaginaire. Elle existe par ses règles de fonctionnement, mais sans implantation fixe. Ainsi, une correspondance s'établit entre Érasme, Luther, More. Ces hommes ont en commun le latin, condition pour une République des lettres : un langage commun, et sans tentation nationaliste. Entre eux se jouent des dialogues, des oppositions parfois, des échanges d'informations.

Cette pratique va survivre partiellement, ainsi dans la correspondance, très inattendue, entre Bossuet et Bayle exilé à Rotterdam, et renaître au XVIIIe, sous une nouvelle forme, dans la presse périodique savante qui donne des infos sur des publications récentes, permettant d'écrire, de savoir. Mais il s'agit d'un prolongement. En fait la République des lettres est en déclin.

Du XVIe au XVIIIe siècle, il faut prendre en compte le déclin du latin, qui correspond à la montée des nationalismes littéraires. La Défense et illustration de la langue française est ainsi à lire comme l'affirmation qu'il faut créer un langage, une mémoire, une littérature nationales et non plus internationales. Ce qui s'est constitué est un français littéraire, à l'exemple de l'italien de Dante, et cela représente la première remise en question de la République des lettres. De la Défense à Vaugelas, on est passé d'une demande d'élargissement et d'enrichissement de la langue à une conséquence de la règle : appauvrissement et rétrécissement.

Au XVIe siècle, les contrôles qui pèsent sur la sociabilité littéraire sont d'ordre financier : elle a besoin de mécènes, de rentes liées à l'Église (Du Bellay, Ronsard, Baïf). Mais cela n'implique pas des contenus imposés aux œuvres : quand Ronsard prend parti par rapport aux guerres de religion, dans La Franciade, ce n'est pas une commande. Les pressions qui pèsent sur les hommes de lettres ne sont pas externes - pressions du pouvoir - mais internes : ils veulent correspondre à un modèle, etc.

B - Les sociabilités littéraires au XVIIe siècle

I - Les sociabilités ouvertes

A partir du XVIIe naissent une codification, une contrainte, cette fois d'ordre politique. L'exigence par rapport à la langue est de cet ordre. Que l'on considère l'ordonnance de Villers-Cotterêt ou les préceptes de Boileau ("Ce qui se conçoit bien…"), il apparaît que la langue n'a plus besoin de montrer sa richesse mais de la précision par rapport à ce qu'on veut dire. Parallèlement, il y a une langue qui s'est marginalisée, que recueille Restif de la Bretonne, langue parlée, argots divers qui trouvent un statut littéraire dans les œuvres baroques ou satiriques. C'est la langue de la prostitution, dont on retrouve trace jusque vers 1650 dans le Parnasse satirique, chez Saint-Amand, Scarron.

Il y a eu une épuration aux dépens d'une langue jugée vulgaire, qui est liée à des codes de comportement notamment par rapport au corps :

Tout un pan de vocabulaire n'est donc désormais plus utilisé, excepté dans les milieux de la prostitution. Il y a un véritable enjeu lié à la sexualité. Cf. Abramovici, Le Livre interdit, Payot, 1996. L'épuration de la langue serait parallèle à l'inscription des gens de lettres dans des institutions (cf. travaux de Viala, de Yates) Il y a désormais une langue pour la littérature, tandis que l'on commence à codifier l'esthétique. La pulsion de codification s'étend progressivement à toutes les productions littéraires. Cela correspond à la montée de l'État.

Qu'est-ce que l'État ? Je propose ici la définition par les effets qui est celle de K. Pomian. La montée de l'État se lit dans quatre tendances :

C'est dans cet ensemble qu'il faut penser les sociabilités littéraires et notamment essayer de comprendre leur lien à un certain nombre de mutations :

Il y a donc un mouvement général de mise en ordre : une religion, un roi, une esthétique. Et parallèlement, une marginalité littéraire dans deux sens : la préciosité, qui va trop loin dans l'épuration de la langue, le baroque, qui en est le refus.

On a donc au XVIIe une sociabilité littéraire complexe, et de plus en plus régentée, avec une multiplication des lieux institutionnels.

L'Académie française va se mettre à produire des représentations d'elle-même. Sa fonction initiale, l'apologie royale, s'éclipse progressivement derrière la production de mémoires d'archéologie, de linguistique, et des éloges des membres et des concours. Simultanément ces travaux sortent de l'Académie et sont publiés, atteignant des tirages de 6 à 800 exemplaires, ce qui est, à peu près, le premier tirage d'un roman. Cela est dans la logique étatique : il faut un rapport de ces sociabilités littéraires avec l'opinion. D'autre part, l'Académie, jusqu'alors sans implantation fixe, s'installe à partir de 1672 au Louvre, et ses réunions deviennent publiques. C'est un véritable spectacle de monstration qui est organisé, dont la gloire doit rejaillir sur le pouvoir.

 

II - Les sociabilités closes

A côté de ces sociabilités ouvertes, il y a des sociabilités closes, comme l'Académie putéane. Celle-ci est liée aux frères Dupuy, héritiers de Thou, théologien protestant qui leur lègue la conservation de sa bibliothèque. Apparemment, c'est une bibliothèque privée, mais là se tiennent des réunions, et on leur demande de rendre des services, comme l'écriture de traités, d'accords. C'est un monde indépendant, mais dont on voit clairement le lien avec le politique et son utilisation par ce dernier. Ils n'ont aucun conflit avec le politique, mais restent athées, ce qui montre qu'on aurait tort de vouloir télescoper la pensée de la liberté politique et la pensée de la liberté religieuse.

 III - Les sociabilités interdites (Montauban, Nîmes, Sedan, sociabilités protestantes)

IV - Les sociabilités salonnières

Pour les historiens des salons, c'est un phénomène typiquement français. On distingue une première période, de 1590 à 1670, environ, suivie d'une mise en sommeil puis d'un redémarrage, difficile à expliquer, en 1710. On peut avancer l'hypothèse selon laquelle cette mise en sommeil après la Fronde n'est pas innocente : le dernier verrou contre l'absolutisme est tombé. Il n'y a plus de société aristocratique : ce n'est plus qu'épée sans lame qu'on porte en public ; les militaires deviennent des professionnels… Académie et salons sont en concurrence, et l'Académie a presque gagné. C'est avec la mort de Louis XIV qu'ils renaissent. 

  1. L'Hôtel de Rambouillet On y note une transformation : les hommes de lettres ne reçoivent pas d'argent. Ils restent fascinés par la noblesse, comme la noblesse est fascinée par eux, les croyant capables d'être par eux policés. Cependant, les productions esthétiques sont archaïques : des rondeaux, des guirlandes de Julie, ce sont essentiellement des formes divertissantes. Il apparaît donc qu'il s'agit à la fois de codification des mœurs, en termes de courtoisie, etc., et d'une esthétique très classique.
  2. Madeleine de Scudéry C'est le salon le moins aristocratique. Bibliographie : Mac Lean, Woman triomphant, feminism in french litterature, Oxford, 1977. Ce travail montre le rôle des femmes par rapport à un féminisme à venir. Mais il faut retenir que, dans le cadre de la préciosité, s'accélère l'épuration initiée par Vaugelas. Ce salon va trop loin dans le processus d'épuration, et de surcroît il utilise des formes esthétiques archaïques : madrigaux, etc. Ces femmes ont servi le pouvoir contre la Fronde. Il y a donc à la fois une rupture par rapport à leur milieu et un accompagnement du pouvoir.

 V - Le cabaret

Académie, salons et cabaret doivent se penser ensemble. Un des plus célèbres cabarets est "La Pomme de pin", dont on sait peu de choses sinon que les hommes de lettres allaient y boire et y fumer. Tous les ont fréquentés : Saint-Amand - qui écrit un grand poème sur la débauche -, Charles Sorel, Furetière, Théophile de Viau, Cyrano de Bergerac, Gilles Boileau (frère de Nicolas) qui fait de l'érudition coquine sous couvert d'érudition pincée pour éviter la censure des ouvrages sur L'Abus des nudités de gorge ou Les Flagellants. Cela représente un refus des normes politiques imposées, mais aussi des normes religieuses, de la bienséance. Le Roman comique comporte ainsi des passages scatologiques incroyables, qui étaient de véritables provocations contre l'ordre sémantique et les modèles de sociabilité mondaine.

De fait, le XVIIe voit quelques innovations signifiantes dans les modèles de comportement et les usages:

C'est la naissance de la notion d'intimité et de privé. Cela ressort à la fois du rapport au corps, au contrôle, mais aussi d'une protection contre l'État. La "privacy" résulte donc à la fois de la contrainte de l'État et d'un moyen de s'en protéger.

Le comique lié à la scatologie, à l'adultère, est désormais proscrit : Molière s'en éloigne. On en trouve bien sûr quelques résurgences, mais de manière générale, il y a une sorte de respect, et la littérature est désormais conçue comme chose respectable. Seule une littérature marginale continue de chanter une sorte d'hédonisme, et le burlesque qui s'invente est inadéquation entre la chose et le sujet.

 

Conclusion sous formes de remarques :

Ce mouvement va bien plus loin que l'esthétique :

  1. Il y a derrière cela une réaction de type aristocratique : ce refus de la norme ne peut être interprété comme la démocratie naissante : c'est bien plutôt la distance aristocratique qui s'y manifeste, on peut le voir avec Saint-Simon qui emploie un langage archaïsant que la norme voudrait refouler.
  1. Une culture des élites s'est mise en place, dont les deux exemples les plus frappants sont le statut des sorcières et celui des comètes.

* Les sorcières : Inquisiteurs, sorcières et dénonciateurs étaient au moins d'accord sur le fait que la sorcière avait eu des relations avec le diable. Quand Jean Bodin, le fondateur des sciences politiques, écrit De la démonologie, il pense que les démons sont un objet de science comme le reste. Cette communauté de l'imaginaire est peu à peu remise en question. L'Édit de 1672 proclame finalement que les sorcières sont des hystériques qu'on doit interner.

Il apparaît ainsi que la communauté de croyances s'est scindée, entre la rationalité d'un côté et les croyances populaires de l'autre.

* Les comètes : il y en a eu une au début du siècle, l'autre à la fin. Mais si la première provoque de l'inquiétude, ce ne sont plus que les plus arriérés qui croient aux pouvoirs néfastes de la seconde. Le pouvoir, l'Eglise, mettent en œuvre tout un dispositif pour marginaliser intellectuellement et socialement la croyance aux comètes.

Il faut remarquer d'autre part que toutes ces sociabilités ne sont pas étanches. Même le grand Boileau fréquente le cabaret. Ce sont deux mondes, mais avec des passages, de l'un à l'autre, des phénomènes de compensation. Aujourd'hui encore ces sociabilités transversales existent : il n'est qu'à voir la buvette de l'Assemblée nationale. Dans les périodes normales, c'est-à-dire hors des périodes de grands conflits, il apparaît donc que les différences idéologiques sont dépassées dans les sociabilités littéraires. Ces réseaux sont aussi des réseaux d'échange. Les rapports entre hommes de lettres et aristocratie, ainsi, ne sont plus de mécénat mais d'échange, et les premiers vont en tirer une dignité puisqu'ils servent de modèles.

Les cabarets sont liés au burlesque pour la majorité des habitués, mais ils sont fréquentés par l'ensemble du monde littéraire.

Tout cet ensemble est lié à une culture, et à une montée de l'État. C'est le système qui est mis en place vers 1680, une fois la Fronde éliminée.

Cette sociabilité régentée va étendre son ombre sur tout le XVIIIe siècle. La norme classique demeure.

C - Les sociabilités littéraires au XVIIIe siècle

Pour situer l'analyse, il faut retenir quelques faits majeurs :

  1. Les développement du lectorat, lié aux progrès de l'alphabétisation, et l'apparition d'un lectorat féminin.
  2. La multiplication des titres publiés. On passe d'environ 200 ouvrages par an dans les dernières années du XVIIe siècle, à 800 dans les années 1780.
  3. L'extension de la diffusion du livre, parallèle à la centralisation de l'édition : Lyon, Limoges, Bordeaux cessent d'être des lieux de diffusion importants, tandis qu'un nombre important d'ouvrages est publié à l'étranger.
  4. Modification des conditions de financement de la publication. Avec l'Encyclopédie apparaît ainsi la publication par souscription, qui permet de grandes séries, des volumes chers qui auraient été impensables au XVIIe siècle, comme c'est le cas pour l’Histoire naturelle générale et particulière (Théorie de la Terre, Histoire naturelle de l’Homme, Animaux, Quadrupèdes) de Buffon et Daubenton.
  5. On est frappé par l'existence d'une entreprise de type capitaliste dans des structures archaïques de l'édition, dans les années 1750.
  6. La prédominance du français comme langue internationale, liée à l'appauvrissement de l'Espagne dont la langue a été pillée mais n'est plus parlée, tandis que l'italien lui-même ne peut trouver son unité linguistique.
  7. Dans l'imaginaire des hommes de lettres du XVIIIe siècle existent plusieurs modèles littéraires. Les modèles antiques, et notamment la rhétorique cicéronienne, restent très prégnants, et connaissent une résurgence formidable pendant la Révolution française. Les modèles classiques sont autant de défis : ainsi Beaumarchais se lance-t-il dans le pari de faire aussi bien que Molière. Enfin, des modèles contemporains naissent, notamment avec Voltaire et Rousseau. Et on pourrait parler aussi, à partir de 1760, de ce mode de sociabilité littéraire très particulier qu'est la visite au grand écrivain. Le modèle voltairien fait référence à l'auteur de tragédie, mais ce qui commence à compter essentiellement est l'engagement militant : on encense le défenseur de Calas en même temps qu'on couronne l'auteur de théâtre. Sur Rousseau, on va créer un modèle déviant, de la marge. De fait, Rousseau a expliqué que pour écrire un discours de la vérité, il fallait s'inscrire dans la rupture : refuser le port de l'épée, refuser les rentes, la vie de cour. Lui-même s'est fait copiste, a ôté ses bas de soie pour prendre l'habit arménien et se retirer à la campagne. Il n'a cessé de dénoncer ceux qui ne mettaient pas en accord le dire et le faire. Il propose aussi une rupture esthétique, et se fait modèle soit dans des formes archaïques ("lettres à …"), soit dans des formes non codifiées comme le roman, soit dans des formes réinventées (dialogue et confessions). Avec ces deux modèles, la carrière littéraire devient acceptable.
  8. L'imaginaire du public se modifie profondément chez l'écrivain, et inversement. Il faut donc adapter son discours : convaincre en plaisant, créer un lien avec le lecteur qui soit interindividuel. Il n'est qu'à voir la réception de La Nouvelle Héloïse : Rousseau a reçu une multitude de lettres émanant de lecteurs qui envisageaient ce livre comme ayant été écrit pour eux.

Tout écrivain vit au XVIIIe siècle dans une sorte de schizophrénie, entre le désir de postérité et le combat, l'engagement présents.

I - Les lieux hérités du XVIIe siècle : salons, cabaret, académie

1- L'Académie

Elle ne varie pas dans sa structure, mais elle s'ouvre de plus en plus au public : le versant de représentation des sociabilités littéraires est de plus en plus accentué, tandis que les académiciens sont de plus en plus ouverts à d'autres activités. Ainsi Jean-Baptiste Suard est-il censeur et journaliste au Mercure. L'Académie ouvre ses séances au public, distribue des prix, accueille des invités, et donne à connaître ses activités : il y a dans la Gazette un échotier académique, et à partir de 1700 environ, le Mercure de France annonce les élections, les prix, les éloges. Ainsi se mettent en place une théâtralisation et un système de communication avec le public.

D'autre part, il y a un véritable essaimage académique. Il y a 40 académies de province, avec des mouvements d'échanges interacadémiques, que cela soit dans le sens province/Paris (c'est le cas de Chénier), entre académies de disciplines différentes (ainsi d'Alembert passe-t-il de l'Académie des Sciences à l'Académie française), ou encore avec l'étranger : Voltaire est membre de plus de 25 académies (cf. Daniel Roche, Les Académies de province au XVIIIe siècle).

Il faut enfin considérer que naissent les ébauches de l'histoire littéraire.

 2 - Le cabaret

Il cesse au XVIIIe d'être un lieu de sociabilités littéraires et retrouve sa fonction fondamentale, à savoir une sociabilité populaire. Il y a deux types de cabaret : l'un urbain (cf. A. Farge), que Mercier dans son Tableau de Paris définit comme "un réceptacle de la lie du peuple" ("Cabarets borgnes"), et l'autre campagnard, où traditionnellement l'on va danser, boire et se rencontrer.

Ces cabarets redeviennent cependant un lieu de sociabilités littéraires dans les années 60, quand naît un prolétariat littéraire, une infanterie littéraire avec Mercier de Compiègne, Thévenot de Mérande, etc., tous hommes prêts à vendre leur plume. On y critique les académiciens, on y quête des travaux, que ce soient des articles de dictionnaire, des comptes rendus pour la presse, ou des ouvrages pornographiques ; on y pratique enfin le courtage de livres, notamment pour des éditeurs étrangers (cf. les travaux de Robert Darutow sur la société typographique de Neufchâtel).

 3 - Les salons

Ils renaissent avec la Régence, et cette renaissance se poursuit jusqu'à la Révolution française : alors ils sont en concurrence avec les Clubs, qui vont l'emporter. C'est le cas du salon d'Auteuil, celui de Mme Helvétius. Les rapports avec les académies ne sont pas exclusifs, mais plutôt de concurrence et d'assimilation : on imite les académies dans les salons, on se fait élire en passant par les salons, on tente de s'y faire un entourage littéraire.

Remarques :

La rivalité est d'abord entre salons, plutôt qu'entre salons et académies.

Les salons sont devenus typiquement féminins.

On peut aborder leur étude par plusieurs angles : par leurs habitués, par leurs options idéologiques ou par leurs rivalités.

a - le salon de Sceaux Ce sont alors les rivaux du Louvre ou de Versailles. Fontenelle en est la grande figure. Trois grandes activités y sont pratiquées : le débat intellectuel, avec notamment la querelle des Anciens et des Modernes, le divertissement mondain, et enfin la création puisqu'il y a des pensionnés du salon, comme Voltaire.

b - les salons parisiens Dans une première période, jusqu'aux années 40 à peu près, ils sont très ouverts : le salon de Mme Lambert, celui de Mme de Tencin reçoivent des acteurs, des hommes politiques, en une sociabilité à la fois très ouverte, cosmopolite et influente. Par la suite, la dominante philosophique s'accentue, jusqu'à devenir exclusive dans le salon de Mme Geoffrin. Cette dernière, quoique de petite naissance, fut accueillie et imitée dans toutes les cours d'Europe.

Les salons dont les hôtes sont des femmes sont nombreux : Mme du Deffand, Mlle de Lespinasse, Mme Necker… Elisabeth Badinter a proposé la thèse selon laquelle cela correspondrait à un grand moment féministe, mais cela reste peu éclairant. Il faut davantage retenir quatre grands faits :

On retiendra la thèse de Stéphane Pujol sur le dialogue littéraire au XVIIIe siècle qui établit un lien entre l'importance que prend le dialogue philosophique et la pratique du salon, qui permet de supporter la conversation.

Derrière cela se lit l'émergence de l'opinion publique et l'articulation du privé et du public.

Enfin, il est à noter qu'un type d'élégance se met en place : l'esprit de salon.

c - le salon du baron d'Holbach

Il a un triple fonctionnement :

 

II - Les lieux nouveaux

1 - Le café

Le café, d'abord proposé dans les échoppes de foire comme remède, devient une boisson courante fin XVIIe, parallèlement au chocolat et au thé. Les grands noms sont le Procope et le café de la Régence, qui à partir de 1750 deviennent le lieu de réunion du groupe encyclopédiste. Ces lieux sont surveillés par la police, ce qui impose des codes, notamment langagiers : l'âme devient "Margot", et la religion "Jarotte". Là se côtoie une sorte d'assemblée libre, dans un espace public qui ne l'est pas tout à fait, comme Le Neveu de Rameau l'a montré : on est toujours en représentation dans les cafés. Mercier en fait une critique vigoureuse, dans l’article "Cafés" du Tableau de Paris, en les opposant aux cabarets.

Néanmoins, beaucoup plus que le cabaret, ils vont pénétrer dans la littérature : Pietro Verri, Goldoni, Voltaire lui consacrent des œuvres théâtrales.

2 - Les sociétés - Elles sont le fruit d'amitiés et d'une sorte d'engagement esthétique. Ainsi le Caveau est-il une société bachique, où l'on produit des chansons satiriques, dans une sociabilité plus vitale qu'intellectuelle.

3 - Les cabinets de lecture - Organes de sociétés de lecture de haut niveau ou officines de location de livres, on y lit, on y parle, et l'on sait par Mercier que les écrivains y circulent pour savoir si leurs livres sont ou non demandés. Ils sont contrôlés par la police, comme les cabinets de curiosité qui deviennent un lieu de sociabilité mais toujours sous contrôle monarchique.

4 - Le lycée ou le musée - Les écrivains y dispensent des cours publics sur la littérature.

III - les formes nouvelles

1 - le clan

Ce n'est pas une école mais la réunion de gens sur des bases idéologiques communes, procédant par exclusion et partageant des enjeux économiques. L'exemple le plus connu est le clan encyclopédiste : Diderot a redistribué les articles de l'Encyclopédie aux membres du clan. Il y a des enjeux précis : c'est donner de l'argent, assurer une subsistance à ceux qui les rédigent, obtenir une cohérence idéologique, ce qui a été très mal vu par la "République des Lettres" : elle a considéré que cela représentait une trahison puisque les travaux se distribuaient par réseaux d'amitiés.

2 - la crise de la République des Lettres

Elle est due au renfermement des hommes de lettres sur les géographies nationales, à des affrontements idéologiques très forts, au contrôle de plus en plus grand du pouvoir, ainsi qu'à des différenciations de types de carrières. De sorte que l'on est cosmopolite, au XVIIIe, mais que les échanges sont somme toute limités, ce qui fait de la République des Lettres quelque chose d'à la fois réel et virtuel.

3 - la visite à l'écrivain

Cela a été inauguré par Voltaire, impliquant tout un rituel, dont on trouve par exemple trace dans le Journal de Voyage de Mme de Genlis en Suisse en 1777. (http://humanities.uchicago.edu/homes/VSA/Genlis.html) Cette visite était incluse dans tous les "grands tours" que faisaient les jeunes Anglais en Europe.

Ce rituel sera repris sur un mode dérisoire par Hérault de Seychelles par rapport à Buffon (Visite à Montbard).

La visite chez Rousseau est très révélatrice. Rousseau, qui se prétendait coupé du monde, prend la pose, on en a de nombreux témoignages populaires : c'est ainsi l'intimité de la vie du couple avec Thérèse qui se donne à voir toutes fenêtres ouvertes.

Une des formes de sociabilités littéraires est le fétichisme des objets de l'homme de lettres : ainsi Girardin a-t-il une collection des objets de Rousseau, ainsi trouve-t-on un chien dressé par le dessinateur Huber à découper la silhouette de Voltaire dans du gruyère...