ATELIER DE RECHERCHE SUR LES SOCIABILITES LITTERAIRES

Samedi 24 octobre 1998

Hélène MERLIN, "La naissance de l'Académie française"

 

DISCUSSION

 

La plupart des questions ont porté sur l'autonomie du champ littéraire, sur les rapports littéraire/politique.

Bibliographie :

Des activités littéraires hors pouvoir sont-elles possibles?

A.Viala oppose les "mondains" (ceux qui sont dans le cercle de la Cour), aux "doctes". Or en réalité tous sont pris dans le politique. Ainsi, l'Académie Puteane a des ambassadeurs ; du Perron a converti Henri IV à la religion catholique, ce qui signifie aussi que c'est lui qui a négocié cette conversion avec le pape.

C'est une erreur de penser ces hommes de lettres soit comme dégagés du politique, soit comme asservis au pouvoir politique : ils sont le politique. Et Balzac s'adresse à ces hommes politiques : ses lettres sont adressées à des cardinaux.

Question des camps :

Identifier un ennemi n'est pas nécessairement renvoyer à l'existence d'un parti. Ex : le libertinage

Certes il existe un libertinage généralisé au 17e siècle : une partie de l'individu est devenue comme un atome libre. Il est interdit de parler du politique mais tous le frôlent en permanence, et cela sous la forme des débats les plus violents. Ex : l'éloge de Richelieu

Y aurait-il néanmoins une partie du littéraire hors du pouvoir?

L'Académie Puteane serait hors du politique mais simplement parce qu'elle ne publie rien : ses activités sont restées dans des cabinets de lecture… Elle n'a donc pas intéressé le pouvoir politique : ce n'est qu'ainsi que puisse se penser un littéraire dégagé du politique.

Tous n'ont pas, en fait, de statut politique : Balzac serait ainsi une des premières figures d'homme de lettres, parce qu'il n'est jamais vraiment devenu un homme politique - même s'il l'aurait souhaité.

On ne peut opposer rigoureusement la Cour et la Ville : certes certains sont courtisans, d'autres non. Mais en réalité les lieux sont enchevêtrés :

Ce moment voit-il la mort de l'éloquence?

En fait l'éloquence a été longtemps moribonde. La Conférence académique ne retient pas le mot, à dessein. Balzac prétendait, avec ses lettres, prendre la relève de Cicéron.

Mais dans un contexte de Monarchie absolue il n'y a plus d'éloquence publique - comme rhétorique délibérative.

Dans le moment Henri III - Henri IV se pose le problème de l'être ensemble. L'éloquence délibérative a été très représentée pendant ces guerres

Par conséquent l'activité oratoire à l'époque est perçue comme compromise avec la révolte politique. Mais parallèlement certains ont la nostalgie de ce que cela représentait en termes de liberté dans le monde antique. D'où une série de questionnements : comment faire pour, à la fois soutenir la Monarchie absolue, comme seul moyen de rétablir la paix civile, et concilier cela avec la liberté de l'orateur ?

Le passage vers le livre est passage vers un lieu qui maintiendrait la liberté tout en désamorçant ce que l'éloquence a pu avoir de catastrophique.

De fait, des cinq parties de la rhétorique, mémoire et action sont écartées parce qu'il n'y a plus d'éloquence publique. Au même moment se développent une réflexion très forte sur la démagogie et une mise en cause de l'invention : l'idée se fait jour que la liberté va s'acquérir par l'élocution (une fois mémoire et action écartées) : Balzac l'affirme : il y a dans le style une marque personnelle très forte, une force de raillerie, etc.

Se travaille ainsi une posture de la liberté de ton : il y a là une liberté très forte parce qu'elle est liberté de voix et de fond. Cela passe par la différenciation entre l'éloquence renvoyant à une communauté de destinataires sur lesquels il s'agit d'agir , et le livre passant par le style, et permet donc à une posture très libre de se mettre en place, posture dont le XVIIIe hérite fortement.

N'y aurait-il pas une contradiction entre la définition d'une académie des lettres et une affirmation très forte de soi, comme chez Balzac, qui va dans le sens d'une singularité?

En fait, tout dépendrait de la définition du mot "groupe". Aucun membre de l'Académie ne "parle Balzac" ; Goulue trouve scandaleux que Balzac s'adresse aux grands sur un ton si familier qu'un lecteur mal averti pourrait les croire au même niveau.

Il y a chez Balzac une insolence de la forme et de l'énonciation de soi, et le modèle de cette affirmation est désigné comme étant Richelieu. A l'opposé, Goulue présente son ouvrage de manière anonyme, et met en place une fiction très forte dans ce sens. Il y a une fiction ancienne du livre donné au public non par philotie, mais parce qu'il intéresse ce même public. Dans cette fiction repose la garantie de cet intérêt du public : un ami de l'auteur remet le manuscrit à un éditeur. Goulue va encore plus loin : ce sont des lettres, et qui sont remises au libraire sans l'aveu de l'auteur. Par conséquent, à aucun moment le moi ne vient au premier plan.

Le purisme ne s'oppose-t-il pas à la liberté de la langue : il vient réguler une langue grouillante, …

Mais la langue n'est pas alors pensée sur un modèle despotique ( c'est pour cela que les Révolutionnaires vont vouloir intervenir) : on interdit les néologismes (en référence à l'anecdote de Tibère) parce que ce serait vouloir imposer et régler quelque chose qui appartient au public.

La langue est conçue comme le seul domaine qui échappe totalement à l'autorité royale, même si l'Académie française est une institution monarchique. Elle est pensée dans un rapport d'opposition du particulier et du public : à ceux qui disent que, la langue appartenant à chacun en particulier, chacun est libre d'inventer librement, Vaugelas répond qu'elle n'appartient pas au particulier mais au public. Il y aurait donc, selon H.Merlin, quelque chose de libertin chez les puristes.

Cette problématique est parallèle à la réflexion sur le droit coutumier : il n'est pas légal, mais les théoriciens de l'absolutisme disent qu'ils sont là en fait parce que tolérés par le roi. A l'inverse de la théorie suivante : le peuple existe avant le roi, la preuve en est l'existence des droits coutumiers. D'où l'idée que le peuple reste souverain, par la coutume, cela non comme amoncellement de particuliers mais comme dignité politique du peuple.

Question du modèle de "la République des Lettres" :

 

(Transcription par Emmanuelle Cullmann)